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Burn-out : Sociologie et Philosophie  
 

Interview par Gérald Papy (Vif L'Express du 8 juin 2013) de Pascal Chabot,
à propos de son livre "Global burn-out
"
Paris, PUF, coll. « Perspectives critiques », 2013, 145 p., ISBN : 978-2-13-060845-5.
 

Si, comme il l’affirme, « le philosophe est un chercheur de mots », Pascal Chabot a sans doute trouvé ceux qui sonnent juste pour décrire ce mal de notre temps qu’est le burn-out, répandu depuis une petite décennie en Belgique. Son ouvrage "Global burn-out"  connait un joli succès de vente et est promis à une traduction en une dizaine de langues, de l’anglais au coréen en passant par le turc. C’est pourtant avec une grande humilité que le chargé de cours pas encore quadragénaire de l’Institut des Hautes Etudes des communications sociales (Ihecs) à Bruxelles accueille cette incontestable reconnaissance. Peut-être parce que le déni de reconnaissance est précisément un des principaux vecteurs de cette « maladie du trop » qui touche « les plus fidèles gardiens du système ». Avertissement salutaire ? A notre société, les victimes de burn-out, diagnostique Pascal Chabot, disent qu’au progrès utile, il faudrait substituer un peu plus de progrès subtil.

 

Pascal Chabot : Le burn-out met en évidence un nouveau rapport au travail. Travailler a toujours eu un côté épuisant. Mais on est dans une tout autre civilisation que celle de Charlie Chaplin dans Les Temps modernes, qui a symbolisé l’adaptation de l’homme à la mécanique au XXe siècle. Aujourd’hui, l’adaptation doit se faire par rapport à une accélération du temps, à des injonctions et à d’autres types d’organisation du travail. La question de l’adaptation est centrale dans l’apparition du burn-out. Avec le beau livre de Matthew Crawford, Eloge du carburateur (2), j’essaie de comprendre ce dilemme. Après ses études de philosophie, Crawford entre comme pigiste dans une société du Web. Il est chargé de rédiger pour un site spécialisé payant des recensions d’articles scientifiques. Huit par jour, c’est beaucoup mais ça va. Et puis, on lui en demande douze. Sa première réaction, parce ce qu’il ne rechigne pas à la tâche, n’est pas de se dire que « ce sera peut-être un peu trop », mais bien qu’« écrire douze articles par jour me posera un problème de loyauté, car j’aurai parfois l’impression de trahir les auteurs ». C’est symbolique de la difficile rencontre entre une personne perfectionniste et un système qui, en l’occurrence, se fout de la loyauté pourvu qu’un quota soit atteint. Les humains s’adaptent à tous les systèmes. Mais ils ne s’adaptent pas pour s’adapter. Ils le font pour être heureux, pour se réaliser...

Vous écrivez que « le comble de la vacuité, c’est de s’adapter toujours et de ne se réaliser jamais ». Pourquoi cette pratique de l’adaptation pour l’adaptation triomphe-t-elle aujourd’hui ?

Parce que la recherche de la productivité est le moteur principal de l’économie et parce que le rapport au temps a profondément changé. Jusqu’en 1930, l’humanité a toujours vécu en se laissant dicter son temps par son action. Quand on labourait un champ, cela prenait le temps que cela devait prendre. Depuis, le « fordisme » a renversé les choses. A chaque action, correspond un temps, une semaine ou... quelques minutes pour du travail à la chaîne. L’individu est de moins en moins maître de ce temps. On ne s’est pas assez rendu compte que la grande révolution est celle des années 1960 -1970 avec la création des horloges internes dans les machines qui en viennent à séquencer leurs tâches. Ces machines, créées individuellement pour nous faire gagner du temps, donnent l’impression, une fois mises en système, qu’elles nous forcent à courir après le temps.

Quel est le rôle des nouvelles technologies dans l’émergence du burn-out ?

Elles apparaissent comme ce qui requiert toujours l’attention, ce qui n’est jamais spontanément en veilleuse, ce qui n’a pas d’heure. Le téléphone portable est symptomatique des affections du burn-out. La victime se détournera du BlackBerry parce qu’il représente une sorte de laisse entre elle et son entreprise.

L’absence de reconnaissance est « constitutive de l’épuisement professionnel », écrivez-vous. Est-ce un facteur essentiel ?

Oui. La reconnaissance est constitutive de l’identité de l’individu. Quelqu’un qui ne serait reconnu par personne pourrait certes exister mais serait une sorte de surhomme. Nietzsche est de ceux qui prétendent que l’humain n’a qu’à se forger lui-même. Cela vaut pour une petite minorité. Le contrat de travail, c’est du temps contre de l’argent, de la qualité contre de la quantité. Les individus travaillent d’abord pour cela. Mais la reconnaissance, si elle vient saluer un travail bien fait, introduit de l’humanité dans ce contrat. La reconnaissance est beaucoup analysée par la philosophie et la sociologie allemandes qui lui accordent une place centrale. Pourquoi ? Parce que l’humain se voit reconnaître comme irremplaçable, non « délocalisable » et il n’est pas mis en rivalité avec la machine. Le management dans les années 1980 - 1990 a beaucoup joué sur des dénis de reconnaissance, intentionnellement, parce que c’est la meilleure façon de casser une personne. Voyez les dégâts que cela a provoqués chez France Télécom... La prise de conscience de ces travers a conduit à un management plus humaniste.

Le burn-out est-il une remise en cause du modèle capitaliste ?

Clairement. Il y a une sorte de perte de foi dans le système technico-capitaliste. S’il rencontre énormément de besoins matériels, il est aussi extrêmement dur. Des solidarités sont rompues. Certains n’y trouvent pas entièrement leur compte. Le burn-out est un appel à changer la manière de penser le travail et d’envisager la centralité du travail dans une vie. L’idée de Global burn-out est de démontrer qu’à chaque époque, on peut identifier une pathologie exprimant un désaccord avec les courants dominants qui dictent une vie possible aux humains : la guerre, la mélancolie, la neurasthénie au début du XIXe siècle, le spleen baudelairien face à la première modernité, la paranoïa entre les deux guerres... Aujourd’hui, la façon dont des personnes, qui donnent tout, sont parfois détruites par le système pose la question de son sens. Les victimes de burn-out posent les bonnes questions.

C’est la raison pour laquelle vous écrivez que le burn-out peut être salutaire, si la personne arrive « à se reconnecter à ce qui fait sens pour elle » ?

Je ne veux pas romantiser indûment les maladies psychiques parce qu’elles donnent lieu à beaucoup de souffrance. Mais le burn-out peut être salutaire si la personne en vient à se poser les questions qui lui importent vraiment, notamment l’équilibre à trouver entre vie professionnelle et vie privée. Je pense particulièrement aux femmes souvent en première ligne dans cette épreuve. Beaucoup d’organisations du travail sont encore faites par l’homme et pour l’homme. La répartition des tâches domestiques est encore source de nombreuses inégalités... Comment faire en sorte que le travail reste ce qu’il devrait toujours être, un lieu de réalisation de soi et pas la matrice d’un essoufflement. En cela, c’est vraiment une pathologie de civilisation.

Cette revendication commence-t-elle à être entendue ?

Depuis quelques années, il y a une prise de conscience positive. Un rééquilibrage est en cours. Les entreprises savent qu’elles ne peuvent pas continuer à laisser en leur sein certaines personnes ainsi épuisées.

Les enseignants et les professionnels de la santé sont les plus touchés par le burn-out. Pourquoi ?

Herbert Freudenberger, le psychiatre new-yorkais qui a forgé la notion de burn-out pointait, dès l’origine, les médecins, les infirmières, les enseignants, les travailleurs sociaux... On ne peut s’empêcher de penser à la phrase de Freud : « Avec la modernité, il y a trois métiers impossibles : soigner, éduquer, gouverner. » Deux d’entre eux sont épinglés par Freudenberger. Dans les métiers d’aide, la fragilité de l’humain se montre beaucoup plus que dans l’environnement matériel techno-scientifique et on n’est jamais certain que la mission sera parfaitement accomplie. Une autre façon de l’exprimer est de constater qu’il y a deux types de progrès, le progrès utile et le progrès subtil. Le progrès utile, techno-scientifique, est linéaire : on ne doit pas réinventer les ordinateurs pour les perfectionner ; on va toujours plus loin. Les métiers de l’humain sont en prise continue avec un cycle : les enfants naissent ; il faut leur apprendre à parler et tout reprendre dès le début... Ce sont les métiers les plus précieux parce que c’est en eux que s’expriment le mieux les idéaux d’une société. Or force est de constater que ce sont ceux qui, financièrement ou symboliquement, sont souvent négligés.

Est-ce à dire que la société poursuit peut-être d’autres idéaux ?

Il est clair qu’une société qui met en avant des idéaux de rendement, de productivité, d’évaluation des performances, de minimisation du temps pour une maximisation du profit est une société qui n’a pas les bonnes grilles pour comprendre ce qui est essentiel dans la relation que l’enseignant peut avoir avec ses élèves, ou le médecin avec ses patients. La question du temps des consultations médicales est un problème connu. Cela en est un des symptômes.

Le progrès utile est-il sans fin ?

C’est la question que tous les philosophes contemporains se posent, comme tout un chacun. La plupart réclament soit d’opérer un rééquilibrage, soit de rendre compatible progrès utile et progrès subtil en remettant l’humain au centre des préoccupations. Les signaux d’alerte donnés par des spécialistes du monde du travail, des cinéastes, des écrivains, des journalistes... laissent à penser que l’on va vers un rééquilibrage. Sauf qu’il y a bientôt 8 milliards d’individus à nourrir et une montée en surrégime prévisible. Même s’il y a un pessimisme de l’intelligence, il doit y avoir un optimisme de la volonté. Il serait absurde que notre société, la plus gâtée du point de vue matériel, soit la plus inapte à donner du sens et de la spiritualité.

Le burn-out est-il un phénomène occidental ?

Le contexte de crise l’influence parce que les contraintes augmentent en même temps qu’une fragilisation de certaines personnes. Pathologie spécifiquement occidentale ? Je le crois. Herbert Freudenberger en parle comme de la « maladie du bon Américain ». Ce n’est pas un terme qui est très utilisé en Asie...

La difficulté pour le citoyen européen n’est-elle pas de se résoudre à considérer que l’Europe ne sera plus dominante et que le rééquilibrage mondial en faveur de pays comme la Chine, l’Inde..., où des millions de personnes sont sorties de la pauvreté, ne peut se réaliser qu’au détriment de la prospérité matérielle occidentale d’antan ?

« Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles », affirmait Paul Valéry en 1919. Non seulement, il avait tout à fait raison. Mais sa sentence est encore parfaitement actuelle. Certains des équilibres européens entre un bien-être de la personne et une certaine assurance matérielle pourraient être remis en cause. Le travail d’une partie de la philosophie contemporaine est d’essayer que cette remise en cause ne se fasse pas au détriment des individus ; ce qui risque tout de même de se produire.

Le contexte d’un pays menacé jusque dans son existence comme la Belgique peut-il influer sur la santé mentale d’une population ?

Je ne peux que répondre personnellement. Je suis profondément pacifiste. L’Europe a construit la paix, valeur cardinale. La Belgique y a contribué. Elle est un laboratoire où s’expérimente l’Europe et elle doit le rester. Cet idéal de paix passe par le respect de l’autre, la reconnaissance de sa spécificité et par un rapport détendu à l’autre. La Belgique a aussi une façon de ne pas monter en épingle des idéologies, et de ne pas s’accrocher de façon dogmatique à une identité. Ce sont des valeurs importantes. La remise en cause de tout ce qui constitue cet idéal de paix est négative. L’inquiétude face à certains discours identitaires est fondée. J’espère que la vertu pacifique belge, au nord comme au sud, l’emportera. Pacifisme et pragmatisme.

Pourquoi dédiez-vous votre ouvrage aux contemplatifs ?

Parce qu’ils ont raison d’être ce qu’ils sont, d’avoir au plus profond d’eux-mêmes le temps de méditer sur ce mystère d’être en vie. C’est souvent cette question-là que l’on élude.

Redonner du sens à la vie est-ce aussi retrouver la maîtrise de ce temps ?

Oui, cela passe certainement par une réappropriation du temps. Ce n’est pas un plaidoyer pour l’oisiveté. Il y a dans le temps la source la plus profonde de liberté. Avoir au plus profond de soi le temps, c’est se sentir exister et sentir en soi ce que l’on peut donner.

N’est-ce pas une revendication un peu anachronique par rapport à une évolution de la société où tout conduit à occuper le temps ?

C’est anachronique comme la philosophie l’a toujours été depuis vingt-cinq siècles. Elle ne va sans doute pas cesser de l’être. Comment retrouver cela ? Chacun a ses rencontres, ses chemins. Il suffit d’une certaine sensibilité pour prendre conscience que « la vie est longue mais brève », comme dit l’autre...

 
 
 

Webmaster : Michel Nisen